Un jour ordinaire Sophie Brändström
L’exercice de la résidence : la chance d’avoir le temps de mettre son regard sur pause. Arrivée à Corbeil-Essonnes sans a priori ni parti-pris, j’arpente la ville avec pour fil d’Ariane le petit bout discret d’une Nationale 7, jadis fredonnée dans toute la France et qui ne dit plus grand chose à personne. Je découvre ses 50 000 habitants dans des cités et zones pavillonnaires, des aires bétonnées et des jardins sauvages, des trottoirs propres (ou sales) et des coins de campagne. Je franchis des seuils et je voyage très loin, tout près : appareil(s) photo en main, je traîne du matin à la nuit dans les cafés, j’achète des kebabs, accepte des invitations à des barbecues au pied des tours ou à des mariages. C’est un carnet de voyage mais aussi la chronique du changement d’un lieu, d’une société, de la disparition d’une certaine aisance économique collective, d’une ville qui lutte pour échapper à un « non statut » urbain, entre ville dortoir et lieu de transit. Il y a cette petite phrase si souvent entendue au fil des mois à Corbeil : « fallait voir ce que c’était il y a dix ans ! », comme si le temps qui comptait était celui passé et pas à venir. Comme si les transformations urbaines en cours dessinaient un avenir dans lequel on n’était plus capable de se projeter ! Ces lieux font aussi écho à ma propre vie : les trajets vers l’école, les discussions sur le trottoir, les instants suspendus sur une pelouse baignée de soleil. Les petits matins froids et les nuits qui, selon l’humeur et la saison, magnifent ou pétrifent tout.
Sophie Brändström