Exil Michel Séméniako
Un jour, en 2000, je découvre dans la presse l’image spectrale et verdâtre d’un groupe de clandestins, elle me bouleverse. Une mémoire familiale, jusqu’ici enfouie, fragmentaire et désordonnée comme un dépôt lapidaire, se trouve subitement réactivée par l’actualité. Cette image d’humains, traqués comme des bêtes sauvages par des caméras thermiques, exprimait la violence dominatrice des puissants, dotés d’une technologie sophistiquée, sur les misérables fuyant guerre et pauvreté. En utilisant un film infrarouge, je détourne cette technique « froide » de surveillance. J’en inverse le processus : la chaleur ne dessine plus une cible, mais exprime l’aura des corps vivants, leur énergie pour survivre. Les liens étroits qui rattachent les évènements dramatiques récents (Sangatte, les sans papiers, les boat people en méditerranée...) à ma mémoire familiale ont généré la mise en oeuvre de ce projet.
L’origine des migrants dessine depuis toujours la carte des conflits et de la misère dans le monde. Le clandestin n’a pas d’autre issue que de couper ses racines familiales, matérielles et culturelles, la fuite le contraint à cacher sa singularité jusqu’à l’invisibilité. Il intègre cet effacement comme une condition de sa survie et son exil prend la forme d’un rêve-cauchemard. Le déni du passé génère des ravages. Le travail littéraire de Louise L.Lambrichs est traversé par ce questionnement touchant à la fois la mémoire, l’histoire et les sources de la création artistique. Son texte, écrit pour accompagner mes photographies, provoque le dialogue avec celles-ci et génère une fiction-réaliste. L’écriture parlée, dialogue intérieur comme en suspens, lie les personnages-images au lecteur et remplit de vivante humanité mes fantômes égarés. Michel Séméniako